Entre ambitions et défaites : l’ethos de l’homme et ses rêves

27 octobre 2025 | Enseignements

 Enseignement pour le mois de novembre

« Tous les hommes désirent naturellement savoir. » (1) Aristote

Au commencement, l’homme a rêvé grand.
Il a levé les yeux vers le ciel, cherché les étoiles, voulu bâtir des cités, écrire des lois, inventer des dieux. Ce désir de vérité, ce feu intérieur, a porté l’humanité à franchir des montagnes et des océans. Mais l’homme a aussi connu ses naufrages. Sénèque le rappelait à son disciple Lucilius : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas ; c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. » (2)
Oui, l’homme est capable d’héroïsme, mais aussi de lâcheté. Capable d’inventer la musique, la poésie, la solidarité ; mais aussi les camps, les armes, les idéologies destructrices. Au fond, l’homme est une énigme : il rêve d’infini mais il est enfermé dans sa finitude. Il rêve de paix mais fabrique la guerre. Il rêve de fraternité mais trahit ses frères. Et c’est précisément à cet endroit de contradiction qu’éclate la Parole : « Dieu nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé » (Col 1,13). Non pas dans le royaume de nos rêves illusoires ou de nos conquêtes fragiles, mais dans le Royaume du Crucifié.

Le Roi sur la Croix

La scène est saisissante. Jésus est crucifié, exposé à la dérision : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » (Lc 23,37). Les chefs se moquent, les soldats ironisent. Même un condamné le provoque. Et c’est là qu’un cri monte, humble et vrai, du cœur du « bon larron » : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. » (Lc 23,42). Et la réponse tombe, bouleversante : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » (Lc 23,43). C’est à ce moment de défaite totale – un homme brisé sur une croix, humilié devant la foule – que se révèle le vrai visage de la royauté.

Le Christ n’impose pas, il propose. Il ne domine pas, il sauve. Il ne s’impose pas par la force, mais par la vérité d’un amour qui va jusqu’au bout.

Les rêves et les ombres de l’homme moderne

Le Concile Vatican II l’avait bien vu : « Jamais encore le genre humain n’a eu à sa disposition tant de richesses, de possibilités, de puissance économique, et cependant une large partie des hommes souffre encore de la faim et de la misère, tandis qu’un grand nombre ne sait pas quel sens donner à leur vie. » (3) Quel paradoxe ! L’homme moderne a posé le pied sur la lune, mais il peine à marcher en paix sur la terre. Il a multiplié les moyens de communication, mais il connaît la solitude des foules. Il a libéré d’immenses énergies, mais il a aussi forgé des armes capables de détruire sa propre maison commune.                                          Et pourtant, dans ce chaos, demeure une soif irrépressible : la quête de dignité. « En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné » (4).

L’Église, lumière au milieu des nations,  « Le Christ est la lumière des peuples » (5).

Cette affirmation de Lumen Gentium dit l’essentiel : l’homme ne se comprend pas sans cette lumière. Et cette lumière n’éteint pas les autres flammes. Vatican II l’a reconnu avec humilité :
« L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans les religions. » (6) Et encore : « La vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même » (7).   Ce n’est donc pas par la contrainte ni par la puissance que le Christ règne, mais par la liberté et la douceur. Sa royauté n’est pas de ce monde, mais elle traverse notre monde.

Voix de nos écrivains

Les auteurs français du XXᵉ siècle ont eux aussi scruté cette tension entre grandeur et misère.

  • Albert Camus a pressenti la révolte de l’homme devant l’absurde : « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. » (8)
  • Face à l’absurde, certains désespèrent.  Antoine de Saint-Exupéry, lui, croyait encore à une orientation vers la lumière : « Fais de ta vie une marche vers la lumière. » (9)
  • Et Paul Claudel rappelait que la grâce n’efface pas nos chutes mais les transfigure : « Le chrétien n’est pas celui qui ne tombe jamais, mais celui qui se relève toujours, pardonné et recréé. » (10)

Ces voix, parfois opposées, disent bien ce qu’est l’homme : capable d’ombre et de lumière, d’héroïsme et de barbarie, mais toujours en quête de sens.

Les papes, témoins du Royaume

Le pape François l’a dit avec force : « La royauté de Jésus est vraiment paradoxale : son trône est la croix ; sa couronne, d’épines ; son sceptre, un roseau ; son anneau royal, ce sont les clous qui percent ses mains et ses pieds. » (11) Et Benoît XVI ajoutait : « La croix est le “trône” du Christ : dans cet acte d’un amour extrême, Jésus manifeste sa royauté et fonde le Royaume de Dieu. » (12)

Pour terminer : un cri pour notre temps

En fin de compte, la parole du bon larron devient celle de l’humanité tout entière :
« Jésus, souviens-toi de moi… » Ce cri contient toutes nos défaites, toutes nos fragilités, mais aussi nos rêves les plus grands.

Et voici la promesse qui traverse les siècles : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »

C’est cela, la royauté du Christ : non pas une puissance qui s’impose, mais un amour qui sauve !

 A bien savoir et surtout bien croire !

Donc, bien à vous. Père Piotr K. WILK

Références

  1. Aristote, Métaphysique, I,1.
  2. Sénèque, Lettres à Lucilius, 104.
  3. Concile Vatican II, Gaudium et Spes, n°4.
  4. Concile Vatican II, Gaudium et Spes, n°22.
  5. Concile Vatican II, Lumen Gentium, n°1.
  6. Concile Vatican II, Nostra Aetate, n°2.
  7. Concile Vatican II, Dignitatis Humanae, n°1.
  8. Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, 1942.
  9. Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle, 1948.
  10. Paul Claudel, Œuvres poétiques.
  11. Pape François, Homélie pour le Christ Roi, 24 novembre 2013.
  12. Benoît XVI, Homélie pour le Christ Roi, 26 novembre 2006.

 

Questions pour la méditation ou le partage
  1. Ambitions : Quelles sont mes grandes ambitions dans la vie ? Est-ce qu’elles construisent le Royaume du Christ ou seulement mon propre royaume ?
  2. Défaites : Comment est-ce que j’accueille mes échecs et mes fragilités ? Est-ce que je les laisse m’enfermer… ou bien est-ce que je permets au Christ de les transformer en chemin de vie ?
  3. Rêves : Quels sont mes rêves les plus profonds – ceux qui disent quelque chose de ma vocation ? Est-ce que je crois que Dieu peut les accomplir, peut-être autrement que je l’imagine ?
  4. Ethos de l’homme : Quand je regarde le monde d’aujourd’hui, je vois à la fois des barbaries et des héroïsmes. Qu’est-ce que cela m’inspire pour ma responsabilité personnelle dans la société et dans l’Église ?
  5. Foi et espérance : Puis-je faire miennes les paroles du bon larron : « Jésus, souviens-toi de moi » ? Qu’est-ce que cela changerait dans ma manière de prier et de vivre chaque jour ?
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