Frères et sœurs bien-aimés,
Nous voici à l’entrée de la Semaine Sainte. Nous venons d’acclamer Jésus avec des rameaux, et à peine quelques instants plus tard, nous avons écouté le récit poignant de sa Passion. Quel contraste ! Des cris de joie aux cris de haine. Des Hosanna aux « Crucifie-le ! ». Ce bouleversement qui traverse la foule traverse aussi souvent nos vies.
Aujourd’hui, l’Église nous invite à méditer non seulement la Passion du Christ, mais aussi ce qu’elle révèle du sens de nos propres souffrances, humiliations, maladies, et échecs. Car en entrant dans sa Passion, le Christ n’a pas seulement accompli une mission lointaine : il a épousé notre condition humaine jusque dans ses ténèbres les plus profondes.
Dans la première lecture, Isaïe nous présente la figure mystérieuse du Serviteur souffrant : « Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages » (Is 50,7).
Ce serviteur accepte d’être frappé, humilié, insulté — non parce qu’il est faible, mais parce qu’il se sait soutenu par Dieu. Il ne fuit pas la douleur mais la traverse avec une force intérieure qui vient d’une communion profonde avec le Père.
Et combien ce message nous rejoint, nous qui connaissons l’épreuve sous tant de formes : maladie, trahison, échecs personnels ou professionnels, solitude, injustices…
Le Serviteur nous apprend à ne pas nous laisser définir par la souffrance, mais à garder notre regard tourné vers Celui qui nous soutient.
Saint Paul, dans la lettre aux Philippiens, résume le mystère : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu… s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Ph 2,6-8). Dieu a choisi la voie de l’humiliation, de l’effacement, du dépouillement total. Non pour glorifier la souffrance en elle-même, mais pour lui donner un sens, pour y semer une espérance.
Et malgré tout ce qui nous blesse et défigure notre humanité — ces violences, ces déceptions, ces épreuves qui parfois nous écrasent — Dieu continue de nous faire confiance. Il croit en nous.
Par son Fils Jésus, il nous montre que même dans l’échec apparent, il peut faire naître la vie. C’est en Lui que nous puisons la force de tout supporter et de traverser l’obscurité.
Saint Jean Paul II, dans Salvifici Doloris, affirmait avec force : « La souffrance humaine a atteint son sommet dans la Passion du Christ… et, en même temps, elle a été assumée dans l’amour, transformée et rachetée. »
Le cri du Psaume d’aujourd’hui c’est la prière de ceux qui n’en peuvent plus. Oui, le Psaume 22 que nous avons chanté est sans doute le plus bouleversant de tous : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Ce cri n’est pas une plainte désespérée, mais la prière de celui qui, même dans le silence acceptable de Dieu, continue de lui parler. Il ose crier sa détresse, certain au fond de son cœur qu’il sera entendu.
Dans les moments où nous croyons être seuls, incompris, brisés, nous pouvons nous rappeler que le Christ lui-même a prié ces mots sur la croix. Il a fait sien notre cri pour qu’aucune détresse humaine ne soit jamais orpheline.
Grace à la Passion et la croix du Christ, une lumière jaillit dans l’obscurité. L’écrivain Christian Bobin écrivait : « Il n’y a pas de nuit qui n’ouvre sur une aurore. » La Passion du Christ nous le montre : derrière la nuit du Vendredi Saint se lève l’aube de Pâques.
Et pour nous rappeler que, même dans un monde marqué par la violence et l’absurde, la bonté humaine demeure, j’aime évoquer ces mots d’Albert Camus dans La Peste : « Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser. »
C’est ce regard que Jésus porte sur chacun de nous, même quand nous nous éloignons de Lui, même quand nous chutons. Sa Passion est le témoignage bouleversant de cet amour indéfectible et de cette confiance absolue de Dieu envers l’humanité blessée.
Alors frères et sœurs, en ce Dimanche des Rameaux, entrons avec courage et foi dans cette semaine sainte. Portons nos croix en regardant Celui qui a porté la sienne pour nous. Sachons que dans chaque humiliation, chaque échec, chaque maladie ou souffrance, le Christ est là. Il les transforme de l’intérieur et nous ouvre un chemin vers la vie.
Ne laissons pas le mal avoir le dernier mot sur nos vies. Comme le Christ, levons les yeux vers le Père et disons-lui notre confiance.
Amen.
En union. Père Piotr K. WILK