Une maison à Bible ouverte
La pierre de seuil sous la porte d’entrée est légèrement creusée pour laisser passer une main qui, si elle porte un signe de reconnaissance, un tatouage par exemple, sera acceptée par les habitants à l’intérieur : « Mon bien-aimé a passé la main par la fente… je me suis levée pour ouvrir à mon bien-aimé. » (Ct 5,4-5) Dès la porte franchie s’ouvre un double espace, un rez-de-chaussée bas de plafond, lui-même séparé en deux pièces et un étage que l’on gagne par un petit escalier monté juste en face de la porte. Le petit « sous-sol » sombre servait de remise et de bergerie pour un ou deux ovins ou caprins, parfois un âne, qui apportaient leur chaleur à toute la maison en hiver.
L’étage est lui aussi séparé en deux salles par un mur-silo qui atteint presque le plafond. C’est le grenier à froment, orge, lentilles, pois et toutes provisions récoltées en été. Un système astucieux permet le remplissage par le haut et la ménagère n’a plus qu’à ouvrir une petite trappe en bas pour obtenir la quantité nécessaire au repas. Comme la femme qui fait son pain : « Le Royaume de Dieu est semblable à du levain qu’une femme a pris et enfoui dans trois mesures de farine. » (Lc 13,20-21) Toute la vie familiale se joue dans ce petit espace ; le jour, les activités domestiques, la nuit, le repos ; on déroule alors nattes, coussins et couvertures et tous dorment les uns à côté des autres. Si quelqu’un frappait de nuit pour demander un service, quel embarras d’enjamber tous les corps endormis ! (voir Lc 11,5-8)
Au mur sont accrochées des outres en peau de chèvre dont on surveille vétusté et solidité avant de les remplir de lait, d’eau ou de vin. « On ne met pas du vin nouveau dans des outres vieilles… mais dans des outres neuves. » (Mt 9,17) À côté sont suspendus manteaux et tuniques dont nous parle aussi l’Écriture : « Si tu prends en gage le manteau de quelqu’un, tu le lui rendras au coucher du soleil. C’est sa seule couverture, c’est le manteau dont il s’enveloppe le corps ; dans quoi se couchera-t-il ? » (Ex 22,25-26), appuyé par cet autre passage de la torah : « Tu lui rendras son gage au coucher du soleil, il se couchera dans son manteau, il te bénira et ce sera une bonne action aux yeux du Seigneur ton Dieu. » (Dt 24,10-13) Jésus invite à aller au-delà : « Quelqu’un veut-il te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui même ton manteau. » (Mt 5,40), dans un amour débordant et une totale confiance en la Providence : « Ne prenez ni besace pour la route, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton » (Mt 10,10) ; comme le propose aussi Jean Baptiste : « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas. » (Lc 3,11)
Dans une niche est entreposée la lampe avec son boisseau qui sert d’abat-jour : « On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. » (Mt 5,15) Si quelque chose a été égaré dans l’un des déménagements quotidiens de la salle, elle servira à le retrouver : « Quelle femme, si elle a 10 drachmes et vient à en perdre une, n’allume une lampe, ne balaie la maison et recherche avec soin jusqu’à ce qu’elle l’ait retrouvée ? » (Lc 15,8-9)
On voit aussi un traîneau à battre, large planche de bois dans laquelle sont fichées des pointes de silex, utilisé pour séparer la paille et le grain. « Je fais de toi, Israël, un traîneau à battre tout neuf à doubles dents. Tu écraseras les montagnes, tu les pulvériseras, tu en feras de la paille. Tu les vanneras, le vent les emportera et l’ouragan les dispersera. » (Is 41,15-16) Une houe et un soc de charrue pour les travaux d’automne sont dressés à côté. Tous ces objets avec les cruches, les bols en terre cuite, sont ceux de la vie quotidienne depuis des siècles. Rien n’est inutile ni en surplus.

Les travaux des nuits et des jours. Dans la pièce sont abrités les instruments agricoles, le traîneau à battre, les tamis, jarres et râteaux ; une banquette sert de rangement pour les nattes, coussins et couvertures ; la cuisine est un simple foyer.
Une architecture parlante
Deux éléments de la structure aideront aussi à comprendre des événements des évangiles. Pour remplir le silo de ses grains et légumineuses, qui lui-même n’est obturé que par une planche de bois, on monte sur le toit de terre séchée, on fait un trou qui, durant tout l’été, ne sera garni que de branchages et refermé dès les premières pluies d’automne. Cela nous indiquerait peut-être la saison d’un des premiers miracles de Jésus à Capharnaüm dans ‘la maison’ qui est celle de Pierre. Quatre hommes font passer par un trou du toit un paralytique dont Jésus guérit l’âme et le corps. Ces quatre amis n’ont sans doute écarté que la précaire protection estivale (voir Mc 2,1-12). Si Lc 5,19 évoque ‘des tuiles’, c’est qu’il est déjà dans un autre contexte que celui des villages galiléens.

Quand vient le temps de la moisson.
Vu du dessus le mode de remplissage du silo est bien visible.
Quant à la disposition des deux niveaux, elle éclaire d’un jour nouveau le récit de la Nativité. Ce n’est pas dans la salle commune que Marie pouvait accoucher. Elle se trouve bien dans une maison hospitalière, de famille ou d’amitié ; mais l’intimité pour un tel événement est requise. Ce sera donc au rez-de-chaussée, en présence du petit bétail, que naîtra Jésus dans le village de Bethléem de Judée. Lc 2,7 dit précisément : « Elle l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche car ce n’était pas le lieu dans la salle », avec le terme grec de katalyma qui n’est utilisé qu’à deux autres reprises dans tout le Nouveau Testament, désignant la salle où Jésus va prendre à Jérusalem son dernier repas : « la katalyma où je pourrai manger la pâque avec mes disciples » (Mc 14,14 et Lc 22,11), un terme qui n’a jamais été traduit par « hôtellerie ». Plutôt que de manifester un refus d’hospitalité, l’évangéliste dévoile une délicatesse d’attention.
Voilà une catéchèse en images, en objets même pourrait-on dire, qui révèle le concret de l’Évangile, habitat, saisons et coutumes que nous ignorons le plus souvent. Que les pèlerins ne se privent pas d’un tel trésor ! Les sœurs de Taybeh, parfaitement insérées dans le village et sa population, offrent à tout visiteur ces quelques clés de compréhension des Écritures.
Claire Burkel est professeure d’Écriture sainte à l’École cathédrale de Paris.
Source : Terre Sainte magazine 665 (2020) 6-11

Sous la pièce d’étage une resserre et une « grotte » où l’on peut faire dormir une ou deux têtes de petit bétail, ou se retirer « dans le secret ».